1. Introduction :
La greffe de membrane amniotique est une technique chirurgicale simple qui fait désormais partie de l’arsenal thérapeutique des pathologies de la surface oculaire. Elle permet également, pour les membranes amniotiques lyophilisées, d’être utilisées en chirurgie vitréo-rétinienne dans les trous maculaires récidivants. Néanmoins, la composition et la finesse d’une membrane amniotique ne permet pas d’apporter un renforcement tissulaire à la sclère sous-jacente. Cet objectif de renforcement de la paroi sclérale peut nécessiter l’utilisation de techniques chirurgicales plus invasives, comme le prélèvement de sclère autologue ou d’autres tissus comme du fascia ou du tarse, ou le recours à du matériel synthétique dont la tolérance à long terme est incertaine.
L’utilisation de greffe de cordon ombilical lyophilisée, et plus précisément de gelée de wharton, associé à de la membrane amniotique, est intéressante car elle permet d’apporter un renforcement architectonique. La composition de ce tissu riche en collagène est proche de celle de la sclère sous-jacente et laisse entrevoir une tolérance à long terme satisfaisante comme pour les membranes amniotiques. La membrane SclerFIX, viro-inactivée et lyophilisée, permet de répondre à cet objectif de renforcement de la paroi, avec la même facilité d’usage qu’une membrane amniotique et sans recourir à un geste chirurgical plus lourd ou nécessitant une expertise particulière. Le devenir de cette membrane s’apparente, au long cours, à l’apparition d’une néo-Ténon, comme peut le montrer les imageries OCT du segment antérieur au cours du temps de ces membranes.

Étude SclerFIX-TBF2, communication orale SFO 2021, Dr Nahon-Estève S.
Voici un panorama des utilisation possibles de la membrane SclerFIX.
2. Méthode de pose
Contrairement aux membranes amniotiques lyophilisées où l’on peut utiliser de la colle dans certaines utilisations de pose, la membrane amniotique SclerFIX devra être suturée à la sclère, en utilisant du fil tressé résorbable 7/0 ou 8/0, et idéalement recouverte, au moins partiellement, par de la conjonctive adjacente afin de limiter le risque de frottement des paupières sur les bords de la greffe. En effet, l’intégration de la greffe au tissu environnant se fait à partir de deux semaines après la pose, avec un risque maximal de désinsertion de la greffe ou de rétraction durant cette période. Compte tenu d’une épaisseur initialement majorée d’environ 2 mm au niveau du site de pose par l’œdème et l’hydratation du greffon (données de l’étude SclerFIX-TB2), le frottement des paupières peut provoquer un lâchage de sutures et entrainer une migration de la greffe, en dehors du site chirurgical prévu, voire son arrachement. L’autre complication est celle d’un cisaillement par le mouvement des paupières de la surface de la greffe, créant un amincissement mécanique et inflammatoire progressif du greffon.
En pratique, on recommande d’effectuer la pose plutôt sur un champ opératoire initialement déshydraté, en inlay, puis de venir hydrater progressivement la membrane pour la manipuler plus facilement. On pourra adapter la forme du greffon au site opéré par recoupe aux ciseaux de Castroviejo avant d’effectuer la suture par points séparés. On utilise généralement du fil tressé résorbable 7/0 ou 8/0 pour la suture, avec de nombreux points à effectuer sur le versant limbique, zone de frottement privilégiée qui peut entrainer un lâchage des sutures avec migration postérieure de la greffe secondairement. Pour limiter les tensions générées par la rétraction du greffon, on conseille également de mettre moins de tension sur les sutures les plus éloignées du limbe chirurgical, afin de limiter le risque de migration du greffon. Enfin, s’il existe suffisamment de conjonctive, on conseille de recouvrir entièrement la greffe par de la conjonctive « saine » par lambeaux de glissement. Dans le cas où cela n’est pas possible, il faut au moins recourir à un recouvrement des bords de la greffe par la conjonctive adjacente, pour protéger les sutures effectuées. Dans certains cas de résection de très grande taille, on pourra recouvrir la greffe par une greffe de membrane amniotique, lyophilisée ou non, pour éviter les phénomènes de frottement.
On évitera enfin le recours à de la colle biologique, pour éviter la création d’une interface supplémentaire entre la greffe et la sclère mise à nue, et favoriser l’intégration du SclerFIX. Par ailleurs, le contexte clinique de la greffe (risque de perforation ou perforation effective du globe notamment) nécessite de limiter le risque de pénétration d’un corps étranger comme de la colle en intraoculaire.
En dehors d’autres traitements adjuvants éventuels après la chirurgie, la membrane est généralement intégrée à partir d’un mois après la greffe, avec un effet quasi-définitif dès 3 mois.
3. Oncologie oculaire
En oncologie oculaire, il existe deux grandes indications de réparation de la surface oculaire.
La première indication est celle du remplacement de la conjonctive tumorale excisée, notamment en cas de défect de grande taille. Dans ce cas-là, on rappelle que l’exérèse d’une tumeur conjonctivale obéit à des règles spécifiques, suivant la technique « no touch », sans devoir recourir à l’utilisation de produits anesthésiques sous la conjonctive (anesthésie sous-conjonctivale) qui modifie l’architecture conjonctivale et peut être source de dissémination des cellules tumorales. On propose généralement une anesthésie générale, l'anesthésie topique ou péribulbaire pouvant éventuellement être envisagée en cas de petites tumeurs limitées au voisinage du limbe (mais qui ne concernent donc pas une situation nécessitant l’utilisation d’un SclerFIX). La reconstruction du défect obtenu se fera toujours après changements d’instruments et privilégiera la fermeture directe par glissement de la conjonctive adjacente, avec suture des berges idéalement au centre du lit d'exérèse tumorale. Néanmoins, lorsque la zone d’exérèse est étendue, la reconstruction sera assurée par une greffe de membrane amniotique.
Nahon-Estève S, Maschi C, Caujolle JP, Lassalle S. Tumeurs conjonctivales malignes. EMC – Ophtalmologie 2024;0(0):1-19 [Article 21-150-A-12].
Lorsqu’il existe un risque de fragilisation de la paroi sclérale, notamment dans le cadre d’une exérèse de tumeur envahissant la sclère et qui devra potentiellement bénéficier d’une irradiation adjuvante après cicatrisation, on peut utiliser la membrane SclerFIX qui pourra apporter une épaisseur supplémentaire (environ 1000 microns) au niveau du site d’exérèse par rapport aux membranes amniotiques classiques, qu’elles soient lyophilisées ou cryoconservées.
Plusieurs méthodes de pose sont possibles :
- Soit le défect est de grande taille et ne permet pas à des lambeaux conjonctivaux de glissement de recouvrir le greffon : il faut soit recouvrir la greffe au niveau de ses bords par la conjonctive saine résiduelle, soit utiliser une nouvelle greffe de membrane amniotique, lyophilisée ou non, pour éviter les phénomènes de frottement sur la greffe.
- Soit le défect est de petite taille (mais avec un sclère fragilisée), on peut alors recouvrir la greffe après sa suture directement par des lambeaux conjonctivaux de glissement.
La deuxième indication est celle du recouvrement préventif ou curatif d’un amincissement scléral post-radique. Malheureusement, l’absence possible de néovascularisation conjonctivale et les troubles trophiques générés par une irradiation à forte dose empêche l’intégration du greffon qui se désinsère généralement assez rapidement du site de pose. Il vaut mieux prévoir une autre technique chirurgicale pour la réparation de la surface oculaire dans ces cas-là, l’utilisation du SclerFIX ou même d’une membrane amniotique n’étant pas efficace.
Une dernière indication est celle du recouvrement des billes d'énucléation, pour laquelle la greffe de membrane SclerFIX permet :
- La protection du tissu orbitaire antérieur, qui peut être irrité par le greffon lui-même
- Un site de fixation pour les muscles extra-oculaires
- Une couche de protection supplémentaire qui empêche l’extrusion du greffon lorsque positionné au-dessus en sous-conjonctival.
4. Ptérygion
Le ptérygion est une excroissance fibrovasculaire en forme d'aile de la conjonctive qui s'étend au-delà du limbe et envahit la cornée. Le seul traitement efficace du ptérygion est la chirurgie. L’exérèse associée à une autogreffe conjonctivale avec cellules souches limbiques est la méthode ayant montré le moins de récidive à ce jour mais l’utilisation d’une membrane amniotique reste une alternative intéressante en raison du faible taux de récidive en cas de ptérygion primitif, surtout lorsqu'elle est combinée à une autogreffe conjonctivale ou conjonctivo-limbique. Dans les cas avancés, bilatéraux ou nécessitant une potentielle chirurgie du glaucome, l’utilisation d’une membrane amniotique permet également d’épargner de la conjonctive saine.
Paganelli B, Sahyoun M, Gabison E. Conjunctival and Limbal Conjunctival Autograft vs. Amniotic Membrane Graft in Primary Pterygium Surgery: A 30-Year Comprehensive Review. Ophthalmol Ther 2023;12:1501–17.
Concernant la greffe de membrane amniotique, l’utilisation d’une membrane Visio AMTRIX S semble suffisante dans ces cas (cf. lien HORUS), sans devoir nécessiter l’utilisation d’une membrane SclerFIX.
5. Chirurgie du glaucome
En chirurgie du glaucome, deux utilisations de la membrane SclerFIX peuvent s’envisager.
La première situation est celle du recouvrement des tubes des dispositifs de drainage, qu’ils soient valvés (valve d’Ahmed) ou non (implant à glaucome de Paul® ou ClearPath®). En effet, le recours à ce type de dispositif nécessite le passage via un tunnel intrascléral des tubes de drainage pour les protéger d’un frottement chronique sur la conjonctive, et ainsi d’un risque ultérieur d’exposition de matériel avec les risques infectieux inhérents à ce type de situation. L’avantage théorique du SclerFIX sur d’autres matériaux de recouvrement est de permettre de renforcer la protection de ce trajet intrascléral en apportant une épaisseur supplémentaire de tissu qui pourra facilement s’intégrer au tissu environnant. La réaction inflammatoire générée par la pose d’un SclerFIX dans cette situation est en revanche à prendre en compte et à évaluer par rapport à une procédure standard afin d’en mesurer la balance bénéfices/risques.
La deuxième situation est celle de la gestion d’une perforation de bulle de filtration kystique sur une conjonctive largement abimée, par des traitements hypotonisants avec conservateurs pendant des années et/ou de multiples procédures chirurgicales, avec ou sans agent antimitotique (mitomycine C, 5FU) ne permettant pas l’utilisation de lambeaux conjonctivaux ou d’autogreffe conjonctivale. Le recours à une membrane amniotique dans ces cas-là peut ne pas être suffisante pour colmater une fuite d’humeur aqueuse et la membrane SclerFIX peut devenir une alternative intéressante. Les principes de pose restent identiques aux autres indications, en utilisant des sutures par points séparés.
6. Recouvrement d’implants à fixation sclérale
Avec l’essor des techniques d’implantation secondaire d’implants intraoculaires, qu’il s’agisse d’implants dédiés ou d’implants 3 pièces suturés ou non à la sclère, des expositions d’haptiques sous la conjonctive, puis à « l’air libre » sont malheureusement possible. Ce taux de complications est rapporté comme étant rare mais nous disposons, en 2024, d’un recul insuffisant pour évaluer l’incidence à long terme de ce type de complications avec les derniers implants à fixation sclérale sans suture. Un survenue précoce d’exposition des ancres de ce type d’implant peut apparaitre précocement après la chirurgie, nécessitant une nouvelle procédure pour éviter l’apparition d’érosion secondaire. Plusieurs options sont également possibles pour la couverture des ancres, comme une autogreffe sclérale ou le repositionnement de celles-ci, mais la pose de ce type d’implant se faisant généralement sur des yeux traumatisés et les ancres étant fragiles, on peut considérer la pose d’une membrane SclerFIX comme une alternative intéressante. Le taux de réussite dans ces cas-là n’est actuellement pas connu mais on recommande dans cette situation la protection du greffon par un recouvrement conjonctival par lambeaux de glissement comme étant indispensable pour envisager une protection optimale. La fixation de la membrane au niveau du versant limbique est essentielle pour éviter les phénomènes de rétraction en postérieur de la membrane avec la perte d’une couverture efficace de l’ancre.
Exemple : exposition d’haptique d’implant à fixation sclérale sans suture supérieure et inférieure. Une greffe de SclerFIX a été réalisée sur les deux haptiques, recouvertes par la conjonctive du patient, avec une bonne intégration sur l’haptique inférieure mais une rétraction en arrière de l’haptique supérieure, illustrant l’importance d’une bonne fixation du greffon.
Haptique inférieure exposée d’un implant à fixation sclérale sans suture




Haptique supérieure exposée d’un implant à fixation sclérale sans suture





7. Conséquences d’un traumatisme dans le cadre des indications thérapeutiques reconnues
La survenue de plaies du globe oculaire fragilise la paroi sclérale, comme l’atteste très souvent l’examen à la lampe à fente du territoire traumatisé après suture. En cas de plaie limbique avec perte de substance, il n’est pas rare de deviner le tissu uvéal sous-jacent. Le risque d’exposition et de réouverture du site traumatisé est faible mais non nul dans le temps et il peut arriver qu’une réouverture de la plaie, plusieurs années après le traumatisme, soit à l’origine de complications infectieuses. L’utilisation d’une membrane SclerFIX peut donc s’envisager dans ce type de situation, que ce soit en curatif (lors d’une réouverture tardive de la sclère) ou en préventif.
Dans cet exemple de plaie du globe oculaire avec corps étranger intraoculaire, on observe après suture initiale la présence de tissu uvéal au niveau de la plaie. La réouverture quelques jours après de la plaie pour sortie du corps étranger va venir à nouveau fragiliser la paroi, incitant alors à la pose d’une membrane SclerFIX pour apporter une protection supplémentaire à long terme du site traumatisé.
Une autre situation possible est celle d’un amincissement scléral post-chirurgical, notamment en cas de chirurgies du strabismes multiples, pouvant amener à l’apparition d’une nécrose sclérale ischémique localisée. Cette situation amène à une grande prudence et on peut proposer, dans ces cas-là, une approche mini-invasive en positionnant une membrane SclerFIX sous la conjonctive, avec sutures uniquement des bords limbiques de la greffe.


8. Nécroses de slérite antérieur
Une dernière situation peut nécessiter le recours d’un implant de type SclerFIX, celles des nécroses de slérite antérieur, notamment dans les cas de granulomatose avec polyangéite ou de polyarthrite rhumatoïde. La réalisation d’un greffe de SclerFIX ne peut s’envisager dans ces cas à deux conditions :
- La présence d’une nécrose de faible taille, permettant de fixer la greffe sur de la sclère et éventuellement de la recouvrir avec un lambeau de conjonctive saine (et utiliser le cas échéant une membrane amniotique cryoconservée ou lyophilisée pour la couverture du défect généré par la prise du lambeau)
- L’absence de maladie inflammatoire évolutive et active

La zone de nécrose trop étendue ne permet pas de prévoir la mise en place d’un SclerFIX dans cette situation, malgré l’absence d’inflammation active, et va nécessiter l’utilisation d’une technique alternative.